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En apprenant que leur loyer était de 43.5% plus élevé que celui du locataire précédent, les époux M. l’ont contesté devant la justice vaudoise. Après moult rebondissements, ils ont gagné, le Tribunal fédéral leur a donné raison.
Le combat des locataires a commencé le 17 mars 2006, lorsque les époux M. ont signé le bail pour un appartement de 4,5 pièces à Pully. Le loyer a été fixé à 1900 francs par mois, plus 220 francs d’acompte de charges. Le précédent locataire payait, quant à lui, un loyer mensuel de 1323 francs, charges en sus, depuis le 1er juillet 1992. Dans la formule officielle en cas de changement de locataire (obligatoire dans le canton de vaud depuis le 1er août 2011 pour tous les nouveaux baux d’habitation), le bailleur a motivé cette hausse massive (de 43,5%) par une adaptation aux loyers usuels du quartier.
Considérant cette hausse disproportionnée, les locataires ont contesté leur loyer initial. Il faut dire que le taux hypothécaire de référence lors de la dernière fixation du loyer était de 7% (juillet 1992), alors qu’à la signature du nouveau bail ce taux ne s’élevait plus qu’à 3%. Pareille différence aurait dû aboutir à une baisse de loyer de 30% environ, abstraction faite de l’évolution du coût de la vie. Le combat ne faisait que commencer.
Le 9 octobre 2006, la commission de conciliation a constaté l’échec de la conciliation. Les locataires ont alors saisi le tribunal des baux. Malgré les sept objets de comparaison produits par le bailleur (la jurisprudence exige un minimum de cinq objets comparables), le Tribunal des baux a fixé, par jugement du 4 juin 2007, le loyer initial à 1132 francs.
Malheureusement pour les époux M., par arrêt du 1er octobre 2008, le Tribunal cantonal vaudois a admis le recours du bailleur et a maintenu le loyer initial à 1900 francs. En substance, il a expliqué que, du moment où elle contestait le loyer initial, il appartenait à la partie locataire d’apporter la preuve des loyers usuels du quartier et non au bailleur. Cette décision a eu les effets d’une véritable bombe puisque, jusqu’alors, le Tribunal des baux vaudois avait toujours fait supporter au bailleur le fardeau de la preuve des loyers usuels. Inutile de préciser que cette nouvelle jurisprudence – typiquement vaudoise – allait ouvrir toute grande la porte aux milieux immobiliers. Elle leur permettrait en effet d’augmenter encore plus et quasi impunément les loyers initiaux, au motif des loyers usuels du quartier, cette preuve ne pouvant, à l’évidence, jamais être apportée par le locataire contestataire. Petit répit pour les locataires, le 24 avril 2009, le Tribunal fédéral ayant admis leur recours. Il estimait que le jugement cantonal était incomplet et qu’il ne pouvait dès lors pas se prononcer sur les objets de comparaison. Les juges fédéraux ne se sont en revanche pas prononcés sur la véritable question litigieuse, soit celle du fardeau de la preuve. Le dossier a donc été renvoyé à la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois pour complément d’instruction et nouvelle décision. Les juges vaudois ont, à leur tour, transmis le dossier, le 7 octobre 2009, au Tribunal des baux, non sans lui rappeler que leur raisonnement du 1er octobre 2008 concernant le fardeau de la preuve n’avait pas été infirmé par le Tribunal fédéral. En d’autres termes, les juges cantonaux ont demandé à leurs homologues de première instance de maintenir le loyer des locataires à 1900 francs par mois.
Saisi une deuxième fois de ce dossier, le Tribunal des baux a rendu son nouveau jugement le 3 février 2011. Il a fixé le loyer net des locataires au même montant que celui payé par leur prédécesseur, soit 1323 francs. Il a considéré que le bailleur supportait bel et bien le fardeau de la preuve et que les sept fiches comparatives qu’il avait produites n’étaient pas probantes.
La société propriétaire a contesté cette décision pardevant la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois (précédemment la Chambre des recours), qui, sans surprise, a repris le même raisonnement que celui qu’elle avait développé le 1er octobre 2008. Le loyer des locataires était ainsi maintenu à 1900 francs. C’était cette fois compter sans la persévérance des locataires, qui ont porté une nouvelle fois cette affaire devant le Tribunal fédéral. Le 6 décembre 2012, notre Haute Cour a admis leur recours et fixé le loyer initial à 1323 francs. Elle a par la même occasion condamné le bailleur à leur verser la somme de 46 160 francs correspondant aux parts de loyer payées en trop pour la période allant du début du bail au mois de décembre 2012 y compris (Arrêt 4a_491/2012).
Preuve du caractère abusif du loyer initial
Selon le Tribunal fédéral, même si le fardeau de la preuve que le loyer initial est abusif incombe bel et bien au locataire, le bailleur doit collaborer à la contre-preuve, en apportant des objets de comparaison suffisants, à tout le moins lorsque le loyer initial a été augmenté, comme en l’espèce, de plus de 10% par rapport à celui payé par le précédant locataire. Le bailleur n’ayant finalement pas produit les fiches pour cinq objets comparables, la preuve du caractère abusif du loyer initial a bien été apportée par les locataires.
Nous ne pouvons que saluer l’engagement de ces locataires qui se sont battus durant six ans pour obtenir ces 567 francs et que cette délicate question de principe soit – enfin – tranchée.